POETIQUES EMPREINTES
Bernardo Naréa ramasse par terre des cannettes de bière aplaties par les pneus des voitures, laissées pour compte, de couleur argentée, ou déjà rouillées, ou recelant encore quelques bribes de couleurs ou de mots imprimés.
Cueillette savoureuse, car voilà que son œil et son esprit s’accaparent ces reliques toutes différentes, que seul un artiste, qui sait rebondir sur de telles trouvailles, peut transformer en œuvres d’art sensibles et réjouissantes en prenant les tangentes poétiques. Chacune de ces reliques connaît dès lors une reconversion et devient le point de départ d’une composition plastique.
Dans son atelier Bernardo Naréa fabrique de la pâte à papier, mêle journaux déchirées, papiers divers, colle, amidon, colorant ou décolorant selon ses recettes du jour, mixe, cadre le tout dans son format A4, y inclut comme un bijou sauvage la canette aplatie qui va se servir de la pâte à papier comme un écrin, puis presse le tout et en sort une sorte de bas-relief, nouveau terrain de jeu pour l’imaginaire. Secrets d’atelier peut-être, mais à les diffuser on n’entame rien, car l’essentiel se joue ailleurs.
On entre alors dans le domaine pictural propre à l’artiste. Bien sûr, ces pièces archéologiques parlent du passage du temps, du rebut, de notre civilisation forcément, mais elles ne sont pas un support de pensée écologique ou sociologique. Elles sont, à part entière, une gourmandise de matières, de formes et de couleurs. A la page de papier pressé peut s’ajouter une étiquette, un peu de céruleum, une feuille de platane, le portrait de Lamartine, un mot du journal du jour pour célébrer le temps qui passe, oui, mais le temps qui passe dans son habit de beauté, dans une gamme de blancs, gris, bruns, bleus qui régalent l’oeil, dans une matière rugueuse et douce sur quoi les doigts ont envie de se promener.
C’est une oeuvre concrète et abstraite à la fois. Concrète, car les cannettes sont bien là, les capsules aussi, et la tarlatane, le papier broyé, bien présents. Abstraite, car au premier regard on vole aussitôt bien au-delà de la réalité, l’objet ramassé et détourné ouvrant une belle liberté d’interprétation.
On pense à Jasper Johns qui repeignait le drapeau américain en blanc, à Paul Klee qui recomposait le monde avec des carrés et des anges, à Louis Pons qui assemblait ses trouvailles dans des tiroirs debout… Bernardo a rejoint ces ethnologues poétiques qui transcendent le quotidien et nous en livrent des tranches de bonheur.
Martine Chantereau
février 2016